Communiqué de presse du 3 octobre 2019 – Procédures disciplinaires dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche : le Conseil d’Etat donne raison au Clasches, le gouvernement improvise !
COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU 3 OCTOBRE 2019
PROCÉDURES DISCIPLINAIRES DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE : LE CONSEIL D’ÉTAT DONNE RAISON AU CLASCHES, LE GOUVERNEMENT IMPROVISE !
Le 21 juin 2019, le Conseil d’État a reconnu « une erreur de droit » dans la décision du CNESER disciplinaire relaxant un professeur d’université. Ce dernier avait été sanctionné, en janvier 2017, par la section disciplinaire de l’université de Grenoble Alpes (UGA) pour « des comportements et propos (…) incompatibles avec les fonctions d’enseignement » et s’apparentant à du harcèlement sexuel. » Or l’instance d’appel (le CNESER disciplinaire) saisie par l’enseignant avait conclu, en juillet 2018, que les comportements reprochés ne justifiaient pas de sanctions, étant protégés par la « liberté académique ». Le CLASCHES et des organisations professionnelles (AFS, ASES) avaient interpellé (voir ici) le président de l’UGA et la ministre de l’Enseignement supérieur pour contester cette instrumentalisation de la liberté académique.
Cet appel a été entendu et a permis que la décision du CNESER disciplinaire soit cassée car, selon le Conseil d’État : « M. B… avait eu, lors d’un de ses cours, une attitude humiliante à l’égard de deux étudiants, comportant des allusions personnelles à caractère sexuel, de nature à porter atteinte à leur dignité. En jugeant qu’un tel agissement, qui devait être regardé comme détachable des fonctions d’enseignement de ce professeur, pouvait bénéficier de la protection de la liberté d’expression des enseignants-chercheurs garantie par l’article L.952-2 du code de l’éducation, le CNESER a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et a commis, par suite, une erreur de droit ».
Il appartient donc aujourd’hui au CNESER Disciplinaire de juger à nouveau ce dossier. Le CLASCHES, qui accompagne plusieurs des victimes concernées depuis quelques années, ne peut que se réjouir de cette décision et attend que les éléments du dossier soient instruits avec la rigueur et l’impartialité nécessaires.
Cette situation révèle à nouveau les failles des procédures disciplinaires pour les victimes de violences sexuelles. Plus de trois ans après, les étudiant.es ayant dénoncé les faits incriminés devront à nouveau témoigner pour espérer obtenir une reconnaissance… Des réformes en profondeur sont donc nécessaires pour garantir un traitement approprié des dénonciations des violences sexuelles. Or les modifications introduites dans la précipitation dans le projet de loi dit de « transformation de la fonction publique » sont loin d’être à la hauteur des enjeux.
La loi, promulguée le 6 août 2019, contient bien une avancée : les victimes (qui n’ont que le statut de témoin) pourront désormais être accompagnées par une personne de leur choix lors de leur audition par la section disciplinaire. C’est un point important car la situation est structurellement inégale pour les victimes, qui doivent faire face à la fois à la section disciplinaire et à la personne qu’elles ont mise en cause, presque toujours accompagnée d’un.e avocat.e.
Mais pour le reste, la loi ne propose aucune avancée, voire fait craindre des reculs. En matière de procédures disciplinaires, les modifications introduites par la loi soulèvent deux problèmes majeurs :
- Il ne sera plus possible de faire appel des décisions concernant les étudiant.es: la suppression des « usagers » (c’est-à-dire des étudiant.es) du champ de compétences du CNESER disciplinaire (jusque-là instance d’appel) instaure de facto le tribunal administratif comme seule instance d’appel. Cela alourdit la procédure d’appel, faisant craindre une inégalité sociale dans les pratiques de recours. Surtout, cela porte un coup dur (notamment) à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en empêchant un établissement de faire appel d’une décision inappropriée contre un étudiant mis en cause !
- Une atteinte à la démocratie universitaire: l’introduction de la présidence du CNESER disciplinaire par un Conseiller d’État peut rassurer sur la solidité juridique des décisions prises. Mais, comme l’ont dénoncé les organisations syndicales siégeant au CNESER (voir le communiqué de presse commun), cette modification sonne comme une attaque contre la démocratie universitaire du CNESER sous couvert de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il aurait pourtant été simple de concilier amélioration du fonctionnement du CNESER disciplinaire et indépendance des enseignant.es-chercheur.es : par exemple en faisant d’un Conseiller d’État un conseiller juridique (plutôt qu’un décideur) du CNESER disciplinaire ; ou en assurant aux personnes siégeant au CNESER une formation, en particulier sur la question des violences sexistes et sexuelles.
En outre, l’introduction d’une obligation de création d’un « dispositif de signalement », notamment des violences sexuelles, pour toutes les administrations et tous les établissements publics aurait aussi pu être une avancée. Mais sans donner les moyens, financiers entre autres, de mettre en œuvre ce dispositif, cette mesure apparaît davantage comme une opération de communication aux effets limités. Alors que la situation financière des établissements d’enseignement supérieur est sans cesse fragilisée par la politique d’austérité du ministère de l’Enseignement supérieur, comment permettre que ces dispositifs ne soient autre chose qu’une politique d’affichage aux effets (quasi) nuls ?
De manière générale, la fragilisation des conditions de travail et d’emploi, et notamment le recours accru aux contractuel.les[1], risque en effet d’aggraver les difficultés des victimes à dénoncer leur agresseur.
En agissant dans la précipitation, sans concertation et en instrumentalisant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le gouvernement a donc manqué l’occasion d’améliorer réellement le fonctionnement des procédures disciplinaires. Le CLASCHES ne peut que le regretter et souhaite rappeler avec force que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche nécessite une réelle réforme des procédures disciplinaires qui ne peut faire l’économie de :
- Garantir un vrai statut de plaignantes pour les victimes ! Tant qu’elles seront cantonnées au rôle de témoins, incapables de demander l’ouverture d’une procédure, privées d’informations sur l’intégralité de son déroulement et sans possibilité de faire appel, aucune procédure disciplinaire ne pourra être réellement efficace.
- Assurer l’impartialité de l’instance disciplinaire en ne faisant siéger que des membres extérieur.es à l’établissement où les faits mis en cause ont eu lieu.
- Prévoir une formation solide des membres des sections disciplinaires.
- Supprimer la règle injuste selon laquelle une personne ne peut être jugée que par quelqu’un de « rang au moins égal ». Cette suppression a été faite pour la Fonction publique territoriale et la Fonction publique hospitalière, mais non pour la Fonction publique d’État. C’est incohérent !
Ces mesures constitueraient le point de départ d’une véritable politique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche. Sans leur mise en œuvre, toute réforme précipitée ne restera malheureusement qu’une politique d’affichage incapable de protéger les victimes et de sanctionner les agresseurs.
[1] Comme dénoncée par 9 organisations syndicales dans leur communiqué de presse du 23 juillet 2019.
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